CHAPITRE XV DU VRAI ET DU FAUX. (1) Pour bien comprendre comment le quatrième degré de la connaissance nous fait connaître le vrai et le faux, nous devons donner d'abord une définition de l’un et de l'autre. La vérité est l'affirmation et la négation d'une chose, laquelle convient avec cette chose. Le faux est l’affirmation ou la négation d’une chose, laquelle ne convient pas avec cette chose. (2) Maintenant, comme l’une et l’autre, à savoir l’affirmation et la négation, sont de purs modes de la connaissance, il n'y a pas d'autre différence entre l'idée vraie et l’idée fausse, si ce n'est que l'une convient avec la chose et que l'autre ne convient pas, et elles ne diffèrent ainsi qu’au point de vue logique et non réellement. S’il en est ainsi, on peut demander avec raison : Quel avantage l’un a-t-il de posséder la vérité, quel dommage y a-t-il pour l'autre d'être dans l'erreur ? Ou encore : Comment l'un peut-il savoir que son concept ou son idée conviennent mieux que celui ou celle les autres ? En un mot, d'où vient que l’un se trompe et l'autre non ? (3) A quoi l'on peut répondre que les choses claires non-seulement se font connaître elles-mêmes, mais encore font connaître le faux, si bien que ce serait une grande folie de se demander comment nous pouvons nous assurer de la vérité. Car, puisque nous supposons que ce sont les choses les plus claires, il ne peut pas y avoir d'autre clarté qui les rende plus claires, la vérité ne pouvant être rendue claire que par la vérité, c'est-à -dire par elle-même, comme aussi la fausseté n'est claire que par la vérité ; mais jamais la fausseté n’est éclaircie et prouvée par elle-même. Celui-là donc qui possède la vérité ne peut pas douter qu’il ne la possède ; au contraire, celui qui est attaché au faux et à l'erreur peut se faire l'illusion qu'il est dans la vérité, comme celui qui rêve peut bien se figurer qu’il veille ; mais celui qui veille ne peut jamais penser qu'il rêve. Cela posé, on s'explique dans une certaine mesure ce que nous avons dit, à savoir que Dieu est la vérité, et que la vérité est Dieu. (4) Quant à la cause pour laquelle l'un a plus conscience de la vérité que l'autre, cela vient de ce que, dans le premier, l’idée de l'affirmation ou de la négation qui convient avec la nature de la chose a plus de réalité (d'essence). (5) Pour bien entendre cela, il faut remarquer que le comprendre (quoique le mot paraisse indiquer le contraire) est un fait purement passif, c’est-à -dire que notre âme est modifiée de telle manière qu'elle éprouve certains modes de connaissance qu'elle n'avait pas auparavant. C’est pourquoi si quelqu'un, étant affecté par la totalité de l'objet, reçoit telle forme ou tel mode de penser, il est clair qu'il acquiert une autre perception de la forme ou de la qualité de cet objet que celui qui n'a pas subi l'action d'un aussi grand nombre de causes, et qui est déterminé à affirmer ou à nier par une action moindre et plus légère, ayant pris connaissance de cet objet par de moins nombreuses ou de moins importantes affections. (6) D'où l'on voit la perfection de celui qui est dans la vérité, au prix de celui qui n'y est pas : l'un étant plus facile à se laisser modifier, et l'autre moins, il s'ensuit que celui-ci a plus de constance et plus d'être que l'autre ; de plus les modes de penser, qui conviennent avec les choses, ayant été déterminés par un plus grand nombre de causes, ont plus de constance et d'essence ; et comme ils conviennent en tout avec la chose, il est impossible qu'en aucun temps ils soient modifiés, ou souffrent aucun changement du côté de la chose, puisque nous avons vu que l'essence des choses est immuable : or c'est ce qui n'a pas lieu dans le faux. Cela dit, nous avons assez répondu à la présente question. CHAPITRE XVI DE LA VOLONTÉ.
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